mardi 18 janvier 2011

Brève de comptoir

XIXème siècle, campagne anglaise, près d'un charmant cottage.

Un petit garçon affublé d'une ridicule culotte courte en toile marron et d'une casquette du même tissu s'ennuie pendant que ses parents discutent affaires avec un couple d'amis autour d'un seau de thé. Il joue quelques minutes avec des brindilles qu'il a trouvées sous le porche, expectore abondamment à cause de la poussière soulevée par les chevaux menés à l'écurie. Il les suit et s'assied sur un tas de fourrage, au milieu des bêtes. Un rayon de soleil passe par la porte entrouverte et s'étend en une longue bande jusqu'aux pieds de l'enfant. Celui-ci déplace l'amas de luzerne qui lui sert de trône et se rapproche du rectangle de lumière pour se réchauffer les testicules.

Un âne s'avance et lui demande une clope. L'enfant sort un paquet vide, le regarde intensément et donne à l'animal un affectueux baiser sur le museau. La chaleur de l'air, l'odeur du foin, la moiteur de la chair de l'âne éveillent des sensations inconnues dans le bas-ventre du jeune garçon. Une vague de plaisir d'une douceur enivrante le saisit alors qu'il effleure les narines de l'animal. Tous deux se mettent à fumer.

- Comment tu t'appelles ?
- Bob, dit l'âne.
- Oh, je vois.
- Oui.

Après un long silence, l'équidé prend la parole, sur un ton très doux, presque mélancolique :

"L'âne ferma les paupières et se tourna vers le soleil. L'enfant l'imita, laissant son esprit vagabonder. Son compagnon se mit à fredonner la chanson qui avait bercé le garçon lors des longs après-midi d'étés pendant lesquels il avait terminé son développement ex utero :

"Hey my name is Mary Ann"
"No it's not...don't you mean turkey neck?"
"Oh that's right, thanks for the reminder."
"Anytime."

Depuis combien d'années vivaient-ils ainsi l'un près de l'autre sans jamais s'être adressé un regard ? Se pouvait-il que la sensation ressentie par l'enfant ne soit pas étrangère à son nouvel ami ?"
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Le petit garçon, tremblant, tourne lentement son visage vers celui de l'âne, et avec passion, lui souffle :
"Jamais l'enfant ne s'était senti si bien. Le monde menaçait de s'écrouler autour de lui, mais il savait que rien ne pourrait lui arriver tant que l'âne serait à ses côtés pour le protéger. Ses parents, l'école, ses relations incestueuses avec sa petite soeur de dix mois lui semblaient futiles à côté de ce qu'il était en train de vivre. Il voyait la queue de son compagnon battre au rythme de son coeur, et les mouches qu'elle chassait étaient autant d'étoiles dans ses yeux. Il lui semblait..."
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Soudain, il s'interrompt. L'image des mouches et des étoiles est-elle vraiment pertinente ? A peine cette question lui a-t-elle traversé l'esprit qu'un terrible coup de sabot lui fend le crâne et l'étend, mort, dans la poussière de l'étable.
L'âne, encore ivre de rage, fixe sa victime avec dégoût et lui lance une imprécation en hébreu pour souiller à jamais l'honneur de sa famille.
a
Putain, j'ai faim.

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